Proche mais innaccessible

Je l'ai commencée il n'y a pas longtemps:



Cachée derrière un grand chêne, j'attendais. Le vent soufflait doucement dans les arbres faisant tomber leurs feuilles qui recouvraient petit à petit le sol des couleurs de l'automne. Je ne ressentais pas le froid pourtant, un frisson me parcourut lorsqu'il se retourna, si beau, si parfait, si cruel.
Le vaste parc était silencieux, les animaux peureux ne s'aventuraient pas dehors dès lors qu'il se trouvait dans les parages. Malgré ses grandes capacités, il ne pouvait me détecter, moi insignifiante créature de l'Enfer. Je cachais ma présence aux vues de n'importe qui si je le désirais. Invisible et insignifiante, ces deux adjectifs me suivaient comme mon ombre là-bas. Mais, il fallait en ajouter un autre, peu sans doutaient, dangereuse. J'étais dangereuse, mais là-bas seules quelques personnes le savaient.
C'était où d'ailleurs « là-bas », un monde, un monde comment ?
Vaste, cruel, terne, sans joie de vivre ni amour, sans amitiés sincères.
Les êtres de ce monde se déplaçaient comme le vent, dans un souffle. L'amour et la joie, s'ils étaient présents, se devaient d'être discrets. Les rires moqueurs, cruels retentissaient librement dans cet endroit. La loi du plus fort régnait sur le bas-monde, plus haut dans la société, d'autres lois régissaient la vie....ou plutôt la mort.
Le grand parc, un espace unique là-bas. Situé derrière la forteresse, seuls les privilégiés y avaient accès. Les habitants du bas-monde parlaient de lui comme d'un être mythique, pour eux son existence était une légende. Pourquoi ? Simplement parce que les couleurs vives, les couleurs de la joie l'envahissaient, faisaient de lui un endroit emplit de gaieté.
Un éclair déchira le ciel noir, je sursautais malgré l'habitude. Elle arrivait. Je ressentais déjà sa puissance, si je ne m'éloignais pas très vite, cette puissance pourrait me tuer. Et pourtant je reste, prête à en découdre avec l'ange.

Chapitre1

-Alors chef, à quand la prochaine mission ?
-Si tu veux garder ta tête sur tes épaules, tu ferais mieux de ne plus m’appeler « chef », compris ? grondai-je.
-Arzeï m’a prévenue que je ne devais pas m’adresser à toi si familièrement, avoua-t-elle penaude.
-Depuis quand tu l’écoutes ? répliquai-je étonnée.
Elle ne répondit pas, cette attitude était inhabituelle pourtant, elle ne me surprit pas. Jade se trouvait au bord du gouffre. Elle avait cru connaître l’amour mais celui-ci l’avait détruite. Au sens figuré comme au sens propre. Bien que datant de trois mois, la cicatrice restait visible.
Achevée, Jade avait commis beaucoup de fautes professionnelles ces derniers temps. Une erreur de plus et elle serait dégradée. Humiliée, elle n’y survivrait pas. Aux vues de tous, elle paraissait froide, arrogante, cruelle…mais au fond, peu la connaissaient réellement. Jade était avant tout une amie, fidèle et généreuse. Elle tuait quiconque sans rendait compte, seuls les membres de son entourage proche était au courant, j’en faisais partie depuis très longtemps.
-Il t’a…changée, affirmai-je certaine qu’elle comprendrait l’allusion. Reprends-toi ! Je ne pourrais peut-être plus te défendre si ça continu !
-Ce truc me le paiera ! cracha-t-elle.
-En attendant, aiguise ta lame. On lève le camp bientôt, direction le monde bleue.
Un grognement sourd me parvint, elle n’aimait pas s’y rendre.
La Terre, un endroit haït par la plupart des habitants de Karteïrz (le monde des démons).
Il ne faut pas croire tout ce qu’on raconte, les démons n’étaient pas les créatures les plus dangereuses pour les humains. Nous vivions en « paix » avec les deux autres territoires. Bien sûr, les entorses au traité Des Mondes étaient fréquentes. Certains vampires éprouvaient le besoin de goûter le sang d’un homme. Dans ces cas, l’humain mourait ou alors, si son prédateur ne le vidait pas totalement de son flux vital, l’humain se transformerait, la vie le quitterait et il devrait s’exiler sur Karteïrz, pour l’éternité.
Non, les plus néfastes étaient les anges. Depuis quelques décennies, ceux à la tête de leur communauté devenaient avide de pouvoir. Le monde d’Almiarz voyait progresser le nombre d’anges noirs. Ils désiraient contrôler la Terre. Nous luttions pour que leur rêve ne se réalise pas.
-J’ai bien peur que ton supérieur ne veuille plus que je t’assiste, il n’apprécie pas mes questions.
-Sur quoi ?
-Le fait qu’on se batte contre les volatiles pour sauver le monde bleu. Pourquoi nous nous préoccupons de son avenir ?
J’étais d’accord avec elle, les mêmes interrogations travaillaient mon esprit. Je restai silencieuse, elle continua.
-Je pense qu’ils ont peur, si les volatils contrôlent la Terre, ils pourraient s’attaquer à nous.
-On n’a rien à craindre. Et puis, il y a le traité Des Mondes.
Jade m’observa longuement. Elle connaissait les raisons qui m’avaient poussée à rejoindre l’armée, et pourquoi je tenais à gravir le plus d’échelons possibles. Elle savait que je n’étais pas dupe et que, comme elle, je ne supportais plus ces règles. Mais je ne me rebellais pas, sage, je respectais toutes les lois enfin, presque toutes...

A suivre...

-Lieutenant Dague, sous-lieutenant Jade, le commandant Dorzar vous demande !
Je soupirai, je savais que le sergent viendrait nous chercher, pourtant, je fus surprise que cela soit si tôt.
-Très bien sergent, nous arrivons, lançai-je sans aucune émotion.
Par habitude, j’adoptais un ton morne, détaché. Nous nous levâmes et suivîmes Ernoïtz.
Les couloirs du château étaient sombres, silencieux. On devinait néanmoins la présence du soleil derrière les épais vitraux. Ces derniers représentaient des scènes de guerre ou de gloire des Karteïrziens. Le sang était présent dans la majorité des tableaux, ils étaient superbes. Pour réaliser rien qu’un vitrail, pas moins de huit mois de travail étaient nécessaires. Les murs, peints de couleurs ternes, étaient couverts de sculptures représentant d’affreuses gargouilles. Elles semblaient sortir tout droit des flammes de l’enfer, prêtes à vous dévorer.
Seuls les soldats et les gradés de l’armée spéciale avaient accès à cette partie de la forteresse. Même ceux affectés à l’armée de sécurité n’osaient s’y aventurer, de peur de ne pas en revenir vivant. Beaucoup de rumeurs circulaient, souvent effrayantes et sanguinolentes, mais situées à l’opposé de la vérité. Personne ne trouvait la mort entre ses murs, si ce n’est l’ambiance pesante et angoissante, tout était normal. Seulement, des affaires secrètes s’y décidaient, et pour dissuader les curieux, les dirigeants avaient eux-mêmes lancés ces racontars.
Le sergent nous fit entrer dans le bureau du commandant. Une pièce étrangement petite vu l’importance de son occupant, des récompenses ornaient les murs gris. Au centre de la pièce, dans son fauteuil en cuire, trônait Dorzar, vêtu d’un uniforme aussi noir que ses yeux.
Après les salutations d’usages, il nous fit asseoir.
-Bien, vous êtes sans doute au courant de la situation plus que préoccupante de la Terre, commença-t-il. Les anges se rapprochent de leur but, les humains sont incapables de les en empêcher. Il nous faut agir !
Son poing s’abattit fermement sur le bureau, nous faisant sursauter. Le bruit résonna quelques secondes puis s’estompa.
-Il est impensable que ces Almiarziens prennent le contrôle de ce monde. Il en va de notre survie !
-Veuillez m’excuser commandant, mais pourquoi est-ce si important que la Terre reste aux humains. Les anges ne briseraient jamais le traité qui nous lit.
-Je vous reconnais bien là lieutenant, vous avez trop confiance en ce bout de parchemin. Les volatiles n’hésiteront pas une seconde à nous attaquer pour dominer notre mon monde. Et nous devons à tout prix les arrêter avant qu’il ne soit trop tard.
En faisant l’innocente, je pensais qu’il en dévoilerait plus. Je détestais me faire passer pour une idiote mais, avec l’expérience, j’avais compris que ce genre de mascarade se révélait utile pour obtenir la vérité, ou du moins plus d’informations. Dorzar s’était sûrement préparé pour ainsi pouvoir tenir sa langue, et résister à l’envie de tout m’expliquer.
-Bref, dans trois jours vous partirez sur Terre pour veiller à se sécurité. D’autres unités seront présentes. Ne vous réjouissez pas trop vite, ajouta-t-il avec un rictus mauvais. Vous ne formerez pas une unité à vous deux, d’autres viendront vous rejoindre le jour du départ. Des questions ?
-Oui, on les arrête comment les anges ? demanda Jade déjà certaine de la réponse.
-Par tous les moyens que vous trouverez. Vous avez carte blanche. Bonne chance mesdemoiselles.

A suivre...

Suite (et fin) du Chapitre1

Dans la chambre de Jade, nous préparions notre excursion.
-Eh bien, il nous a expédiées ! Il prend plus de temps d’ordinaire pour nous détailler notre mission.
-Hum…je l’ai mis mal à l’aise avec ma question, soufflai-je.
-Ne fait pas comme si ça te dérangeais, pouffa Jade, tu n’attends que ça à chaque fois, trouvé sa faille un jour, tu finiras par l’achever.
-J’irais pleurer sur sa tombe, ripostai-je hilare.
Elle éclata de rire, un de ces rires francs que l’on réserve uniquement à nos proches.
-Tu crois que je dois dire au revoir à ma mère avant de partir ? murmura mon amie.
-Je ne veux pas être pessimiste mais… on ne sait jamais ce qui peut arriver.
-Tu m’accompagnes ? T’iras voir ta mère.
Je fixai la fenêtre, consciente de son regard rivé sur moi. J’évitais le plus possible de voir ma mère. Je savais qu’elle s’inquiétait pour moi, l’armée spéciale était celle qui comptait le plus de morts chaque année. La rancune que j’avais pour ma mère, ne m’empêchait pas de vouloir la voir. Après tout, je venais moi-même de le dire, on ne sait jamais ce qui peut arriver…
-D’accord, mais pas longtemps.
-Je vais me changer, tu devrais en faire autant. Crois moi, tu es bien plus jolie sans cet uniforme.
Je lui envoyai un oreiller à la figure, avant de laisser son rire me contaminer, elle savait me trouver, et me faire rire.

Les rues de la ville étaient désertes, les habitants, peureux, s’enfermaient chez eux dès la nuit tombée. Ils ne voulaient pas croiser des jeunes en manque de victimes. La plupart des gens de Rurtaïz étaient des vampires ou des lycanthropes. Quelques anges déchus venaient y habiter, préférant ce monde à Almiarz. Rare étaient les démons de naissances qui trainaient dans la ville, eux se réfugiaient à l’intérieur du château ou dans des villes leurs étant réservées. Ils pouvaient se montrer extrêmement cruels envers de simples karteïrziens, les autorités préféraient éviter les massacres.
En tant que gradées, nous ne risquions pas grand-chose. Aucune personne saine d’esprit n’oserait s’attaquer à nous. Les risques seraient énormes, et les sanctions sévères.
Jade et moi vivions dans la Forteresse, chaque gradé possédait son propre appartement. Petit certes, mais pratique et confortable.
Je n’étais pas retournée chez ma vampire de mère depuis des mois. Et je me sentais stressée à la vue de la maison.
-Ah non, pesta Jade en m’attrapant par le bras, tu viens d’abord dire bonjour à ma famille. Ca leur fera plaisir.
Elle frappa à la porte, nous dûmes patienter quelques minutes avant d’entrer. Milok, son petit frère, lui sauta dans les bras avant de m’enlacer à mon tour. Il n’avait que sept ans, et croyait dur comme fer que je faisais partie de leur famille.
-Milok ! Laisse Dague tranquille ! gronda sa mère.
-Bonjour maman, je viens te dire au revoir, on s’en va dans trois jours.
-Bonjour madame.
-Ils ne vous laisseront donc jamais vous reposer ! gémit-elle. Vous serez absentes combien de temps ?
Jade et moi échangeâmes un regard qui en disait long, nous ne savions absolument pas, nous n’étions même pas sûres de survivre. Sa mère le comprit en nous observant.

A suivre...